jeudi 12 janvier 2006

Scénario catastrophe

Scénario catastrophe

Je vais laisser tomber un instant la traduction et les autres sujets qui me passionnent, pour aborder un thème qui m'inquiète franchement : la grippe aviaire !
Il est vrai que les politiques et les médecins se doivent d'être rassurants, mais cela n'empêche que le péril est à nos portes, du moins est-ce la manière dont je le pressens.
En France, le ministre de la santé dit à la population :

« la France aura "en 2007, 33 millions de traitements antiviraux" et (...) dispose aujourd'hui de 13,8 millions de doses de Tamiflu qui seraient mises gratuitement à disposition des médecins et établissements de santé en cas de mutation du H5N1 en une forme transmissible d'homme à homme. Le plan national prévoit l'achat de 200 millions de masques de protection destinés aux professionnels de santé ainsi que d'un milliard de masques anti-projection pour éviter la contamination par les malades de leurs proches. »
Source : L'Express

En 2007, donc. Faudra déjà y arriver, en 2007, vu qu'on entame juste 2006 ! Mais bon, la plupart des gens semblent pour l'instant se satisfaire de ces « mesures », pourquoi pas. Serait-ce une manière de repousser le problème ?
Il n'empêche que la politique de l'autruche n'a jamais fait obstacle à la survenue des problèmes, et que plus ils sont graves, plus la désillusion est amère...
Et moi qui vis en Italie, je ne vous dis pas comment vont les choses ici, mais à côté la France fait figure de pays civilisé. ;-)
Or une façon plus responsable de traiter les gens en adultes serait déjà de leur expliquer comment se protéger au mieux avec les moyens du bord. Je m'explique :

- Si je prends l'exemple de la première pandémie de grippe qui a sévi au siècle dernier, à savoir la grippe espagnole de l'hiver 1918, rien que la fourchette probable des victimes nous donne une idée de la confusion qui règne :

* La moindre recherche sur le Web nous donne un minimum de 20 millions de morts, les sites qui en parlent sont légion (à titre d'exemple voir ici, ou encore) ;
* Quant au nombre le plus élevé que j'ai lu, il est de ... 100 millions !!!


Or si vous vous dites que c'est un petit rigolo qui a voulu gonfler les chiffres pour faire de l'audience, vous vous mettez le doigt dans l'oeil, profond ! Puisque c'est le très sérieux site que le gouvernement dédie à la grippe aviaire :



Quant à l'info, elle date du 15 décembre 2005, c'est-à-dire il y a moins d'un mois. Ils sont frais mes oeufs, c'est le cas de dire...
Soit un rapport de 1 à 5, allez vous y retrouver...

Donc, si l'on veut être optimiste et diviser ces chiffres par 2, ça nous donne quand même entre 10 et 50 millions de morts, une paille... Par ailleurs, tous les experts s'accordent à dire, avec une parfaite unanimité, que la question n'est plus de savoir SI la pandémie surviendra, mais QUAND...

Tentons une seconde d'imaginer :

« Au pic de l’épidémie, en octobre/novembre 1918, les hôpitaux refusaient des malades. Des lieux publics furent réquisitionnés pour servir d’hôpitaux d’urgence, également rapidement surchargés. Des annonces étaient publiées dans la presse pour demander la contribution de bénévoles dans les hôpitaux débordés. (...)
Les statistiques hospitalières étaient quotidiennement détaillées dans la presse : nombres d’admissions, de malades refusés, de décès, de sorties des personnes atteintes de la grippe. La liste des décès s’allongeait, les annonces mortuaires couvraient deux à trois pages dans les quotidiens. Les corps médical et scientifiques se contredisaient à propos de l’origine de la grippe, des modes de transmission et des traitements. Par exemple, certains recommandaient la consommation d’alcool, alors que d’autres la rejetaient sévèrement. Ces divergences étaient reprises dans la presse généraliste, comme dans les revues médicales. Chaque mesure préconisée par les autorités sanitaires suscitait des polémiques amplifiées par les media. (...)
Il régnait dans tout le pays un climat de panique. De fausses informations étaient publiées dans les quotidiens comme dans la presse scientifique. Des articles et des lettres de lecteurs expliquaient de manière erronée l’origine de la maladie, les méthodes de prévention, les modes de transmission et les traitements possibles. Les recommandations d’hygiène étaient multiples et variées, allant du nettoyage des sols à sec à l’obligation d’arroser les rues de désinfectants. On pensait par exemple que le virus était transmis par le linge sale des troupes, lavé par les volontaires civils de la Croix-Rouge, ou qu’il se répandait par l’intermédiaire du courrier que les soldats contaminés adressaient à leur famille (17,18). Les publicités pour des traitements miracles se mêlaient aux annonces mortuaires. Elles allaient de la recommandation de manger des oignons aux exercices de respiration en plein air.
Les mesures prises et les interdictions étaient sévères : aucune activité de loisirs regroupant plusieurs personnes n’était autorisée. Dans certains cantons, les cafés et les restaurants se voyaient imposer une réduction des heures d’ouverture. Les théâtres, les cinémas, les dancings et les salles de bals ont été temporairement fermés, des spectacles annulés. Même les églises furent fermées. A Lausanne, certains services religieux ont été proposés dans les parcs publics, mais ces rassemblements furent rapidement interdits par la suite. A Genève, deux prêtres reçurent des amendes pour avoir prêché malgré l’interdiction de rassemblement (19,20). Les cortèges funéraires étaient limités à cinq personnes. Les employés des cimetières peinaient à préparer les tombes et à enterrer rapidement les morts. »

  • Voilà, cela se passait en Suisse, il y a près de 90 ans, et la presse et les médias étaient ce qu'ils étaient, très très loin de la puissance de feu qu'ils ont aujourd'hui. Ce qui nous donne une catastrophe humaine et économique planétaire sans précédent, même Hollywood a jamais imaginé mieux, des gens qui se battent ou s'entre-tuent devant les pharmacies pour glaner quelque antiviral miracle, sans parler du marché noir inévitable dans ces cas-là (voir ici un avant-goût, et là un arrière-goût), la population terrorisée terrée chez elle, les magasins dévalisés, j'en passe, et des funestes...


  • À titre de comparaison, en « 2003, lors de l’épidémie de SRAS, moins de 800 personnes sont décédées. Or les conséquences économiques ont été évaluées à plus de 30 milliards de dollars dans le monde. Ce fut une crise sociale, politique, économique et sanitaire majeure.
    Si nous ne nous préparons pas, la prochaine pandémie pourrait entraîner des dommages considérables tant en perte de vies humaines qu’indirectement par les répercussions qu’elle aurait en termes de sécurité. Aucune société ne serait à l’abri. Aucune économie n’en sortirait indemne. » Source : OMS

    Tout ça pour dire que dès à présent, au lieu de spectaculariser des mesures qui pourraient bien s'avérer inutiles pour une grande partie de la population, puisque naturellement les premiers servis seront les politiques et les services publics (c'est-à-dire tous les fonctionnaires en contact avec les gens pour une raison ou une autre, des personnels hospitaliers aux enseignants, etc.), il vaudrait mieux expliquer au reste de la troupe (ou du troupeau, au choix) le système D à mettre en oeuvre en pareil cas.

    Je n'en sais rien moi-même, aussi ne puis-je qu'imaginer que penser pour ma petite famille : stocker des masques (à noter, dans les propos du ministre rapportés plus haut, la différence entre "masques de protection" et "masques anti-projection", quelle est-elle ?, l'important c'est que lui le sache...), des provisions pour être le plus autonome possible et sortir de chez soi le moins possible, etc.
    Quant au vaccin, s'il arrive, espérons juste que ce sera à temps !

    Bonne année 2006.

    Jean-Marie Le Ray

    P.S. À tous ceux qui croient que j'exagère, je vais révéler un secret : j'ai un fils, il n'a que quatre ans, il est sans défenses (immunitaires ou autres) comme tous les enfants devant un tel fléau, c'est un petit ange tombé du ciel, mais je crois que si je le perdais pour un virus pourri, j'en mourrais, non pas du virus, mais de chagrin.
    Je dédie ce billet aux parents turcs qui viennent de perdre trois enfants, de 11, 14 et 15 ans, en l'espace de quelques jours. J'en ai les larmes aux yeux rien que d'y penser.

    Tag :

    Enfin, pour celles et ceux qui voudraient approfondir le sujet, une ressource pertinente, et une autre, et une autre encore, en français. D'autres suivent l'actualité, ou font des affaires :


    Voir également, ou entendre, plutôt, ce qu'en pensent les grands de ce monde (en podcast et en anglais).

    P.S. 2 : Après ma découverte du Nébuloscope, j'ai voulu tester le programme avec "grippe aviaire", puisqu'une image a souvent le mérite d'être plus parlante que les mots. Et puis ça permet de situer d'un seul coup d'oeil tous les sujets liés :

    4 commentaires:

    Anonyme a dit…

    Bravo - Voici une réflexion pertinente sur ce virus et sur notre avenir, et ceux de nos enfants -
    Merci d'avoir cité mon blog -

    Jean-Marie Le Ray a dit…

    @ Ryback,

    Merci, venant de vous, le compliment me va droit au coeur.
    JML

    Anonyme a dit…

    Cet article est effrayant. La comparaison avec les autres grandes pandémies fait véritablement froid dans le dos...

    Anonyme a dit…

    Ma vision sur ce sujet est différente voir : Grippe aviaire : bonne nouvelle
    Mais de part notre naissance nous ne sommes pas loin autant géographiquement que temporellement. Je suis né à Libourne en 1960.