samedi 15 décembre 2007

Unerencontre.com attaque DatingWatch.org en diffamation : pourquoi Adscriptor soutient DatingWatch ?

Unerencontre.com attaque DatingWatch.org en diffamation : pourquoi Adscriptor soutient DatingWatch ?


1. Introduction
2. Chronologie des événements
3. DatingWatch
4. La diffamation
5. Conclusion

* * *

1. Introduction

Je n'ai pas trop l'habitude de parler des sites de rencontre, mais l'actualité m'impose de faire exception ! Pour réagir sur un sujet chaud, très chaud, et qui me touche de près, de très près, même : la liberté d'expression, d'une part, la liberté d'informer, de l'autre. Tant dans la vie réelle que sur Internet.

La liberté d'expression me concerne au premier chef en tant que personne, et en tant que citoyen pour celles et ceux qui préfèrent ; la liberté d'informer me concerne au premier chef en tant que blogueur, ou en tant que journaliste-blogueur pour celles et ceux qui préfèrent, puisqu'il n'y a plus selon moi grande différence, tout au moins au plan déontologique.

Donc quand j'estime qu'un blogueur subit une intimidation, et qu'est bafouée sa liberté tant d'expression que d'informer, comme dans cette affaire, mon sang ne fait qu'un tour et l'envie de gueuler un bon coup jaillit, irrépressible. On n'est pas encore en Chine ici, quoique, il y a des moments où on se demande. Certes, c'est beaucoup plus pernicieux dans nos sociétés soi-disant "démocratiques", beaucoup plus masqué (et encore, pas toujours...), mais pas moins violent pour autant. [Début]

2. Chronologie des événements

J'ai découvert cette affaire le mois dernier sur le blog d'Emmanuel Parody, et j'avais été estomaqué en visionnant le reportage de Vincent Fourcade, intitulé « La face cachée des sites de rencontre », diffusé sur M6 le 11 novembre.

Je conseille d'ailleurs à celles et ceux qui souhaiteraient approfondir la question de visionner d'abord le reportage, c'est indispensable pour comprendre la suite.

Or comme le souligne fort justement le premier commentateur :
Capital aurait dû donner le nom du site de rencontres pour que le travail de journaliste soit bien fait.
D'autant plus que c'était vraiment facile de remonter jusqu'à ce fameux "client", grâce à tous les éléments généreusement fournis oralement et visuellement par un dénommé Stéphane Guillemin, avec grand luxe de détails.

Notamment parce qu'il accompagne un peu partout la caméra en déclarant, presque avec complaisance, que « le Maroc est deux fois moins cher que la France, et Madagascar deux fois moins cher que le Maroc... » (en se basant sur un coût horaire de 12 euros en France !), ou encore en expliquant devant son ordinateur allumé :


« Tout ce qui est en pastille rouge c'est des gens à contacter en priorité », au motif que « généralement c'est soit des gens qui sont en fin de période d'inscription, pour qu'ils se réinscrivent, soit le client a déterminé que c'étaient des cibles importantes »...

Or il ne me semble pas qu'il ait eu le couteau sous la gorge, ni que quiconque l'ait forcé d'une quelconque manière, ni que le journaliste opérait en caméra cachée ; non, à vrai dire, c'était plutôt du style "déclaration spontanée", tout comme on distingue très clairement dans la capture d'écran saisie sur le vif le pseudo de la "cible importante" marquée d'une "pastille rouge" (un certain rasky973...). Donc impossible de prétendre a posteriori qu'il s'agirait d'un trucage...

Du reste, deux mois avant la diffusion du reportage, le 13 septembre, Vincent Fourcade annonçait la couleur dans un forum dédié aux "rencontres" :

Si parmi les membres de ce forum se trouvent des webmasters qui (...) souhaiteraient decrypter pour moi (et les spectateurs) son mode de fonctionnement, qu'ils ou elles n'hésitent pas à me contacter !
(...)
je suis journaliste à M6 pour le magazine Capital. je prépare un reportage sur les sites de rencontre et m'intéresse donc aussi aux arnaques. je souhaiterais donc pouvoir en parler avec vous.
Difficile d'être plus clair. Ainsi commence l'histoire. [Début]

3. DatingWatch

C'est ensuite qu'intervient DatingWatch.org.

Or à ce stade, vous comprendrez aisément, chères et chers internautes qui me lisez, que devant une telle occasion il était impossible de rester muet pour un blog dont le principal objectif, pratiquement écrit noir sur blanc dans ses "statuts sociaux", est d'être un observatoire sur ... les sites de rencontres.

Dont acte.

En reprenant l'enquête là où s'était interrompu "le travail du journaliste" et en le parachevant pour qu'il "soit bien fait", DatingWatch fait une série de captures d'écran et rassemble un faisceau d'indices pour le moins troublants : liens avec la société interviewée par M6, pseudos retrouvés sur la base de données, similarité du messenger…, ce qui leur permet d'avancer avec conviction le nom qu'auraient voulu connaître tous les spectateurs ayant suivi le reportage à la télé : celui du site de rencontres. En toutes lettres : unerencontre.com !

Ce même site qui attaque maintenant DatingWatch en diffamation :
L’audience aura lieu le 19 Décembre à 13h30 à la 17ème Chambre (Chambre de la presse) du Tribunal de Grande Instance de Paris.

La demande de la partie civile

Netprod Corporation, société editrice de unerencontre.com, et Didier Ryckelynck nous assigne pour diffamation et réclament une somme d’environ 80 000 euros pour préjudices moraux et commerciaux à leur encontre et le retrait des articles incriminés.

Les sommes demandées ainsi que les frais d’avocat menacent l’existence de DatingWatch.
[Début]

4. La diffamation

J'ai voulu m'informer sur ce qu'était la diffamation en droit français avant d'entreprendre ce billet, histoire de ne pas dire trop de conneries. N'est pas Maître Eolas qui veut !

Et c'est sur le blog de Gueule de Loup que j'ai trouvé la source à laquelle j'ai puisé pour rédiger cet article : e-Juristes.

Je cite ce qui m'intéresse :
Ainsi, les éléments constitutifs de la diffamation sont :
  • L'allégation d’un fait précis ;
  • la mise en cause d'une personne déterminée qui, même si elle n'est pas expressément nommée, peut être clairement identifiée ;
  • une atteinte à l'honneur ou à la considération ;
  • le caractère public de la diffamation.
Pour reconnaître la diffamation publique, il faudra constater l'allégation ou l'imputation d'un fait précis de nature à porter atteinte à l'honneur ou la considération d'une personne devant être déterminée ou au moins identifiable.
Ainsi, même dénommé par un pseudonyme, une personne physique peut faire l'objet de propos diffamatoire, dès lors qu'elle est identifiable.

(...)

En cas de diffamation publique, l'auteur peut être condamné à 1 an de prison et/ou 45 000 euros d'amende (peines maximales). La diffamation est réputée commise le jour où l'écrit est porté à la connaissance du public et mis à sa disposition. Dès lors, le délai de prescription d'un an commence à courir.

  1. Exonération : l'exception de vérité (article 55)

    En matière de diffamation, l'intention coupable est présumée (L. 19 juillet 1881, art. 35bis), il appartient donc à l'auteur des propos prétendument diffamatoires d'apporter la preuve de sa « bonne foi ».
    La démonstration de la bonne foi est parfois difficile et exige la réunion de quatre critères :
  • la sincérité : l'auteur disposait d'élément suffisant pour croire à la vérité des faits relatés ;
  • la poursuite d'un but légitime : les propos visent à informer et non à nuire ;
  • la proportionnalité du but poursuivi et du dommage causé ;
  • le souci d'une certaine prudence.

En outre, si la preuve des faits jugés diffamatoires est rapportée, l'auteur de la diffamation peut être relaxé en vertu du principe « d'exception de vérité » (pouvant être exercé dans un délai de 10 jours).
Il conviendra d'apporter la preuve de la vérité des faits mais également celle de la légitimité du propos relatant le fait diffamatoire. Les éléments de preuve doivent avoir une origine licite, transparente et devaient être en la possession de l'auteur de la diffamation au moment de l'infraction.
Donc après ce préambule, il convient de se demander si les 4 éléments constitutifs de la diffamation sont effectivement réunis :
  1. Allégation d’un fait précis : oui, et même de plusieurs !
  2. Mise en cause d'une personne déterminée : oui, d'une personne "morale" expressément nommée 
  3. Atteinte à l'honneur ou à la considération : oui, probablement, dans la mesure où les faits précis sont très négatifs 
  4. Caractère public de la diffamation : oui, sur Internet, il serait difficile de prétendre le contraire !
Par conséquent, au regard du droit, si je comprends bien, il y a effectivement diffamation, compte tenu de la présence sans équivoque des 4 éléments constitutifs aux termes de l'article 29 alinéa 1 de la loi sur la Liberté de la Presse du 29 juillet 1881 !

« Loi sur la Liberté de la Presse du 29 juillet 1881 ». Ai-je bien lu ? Il me semble que oui : à l'heure d'Internet, en 2007, la justice se base encore, envers et contre tout, sur un texte rédigé plus de deux siècles auparavant ! C'est vraiment d'une modernité folle. Voire de la folie moderne. Et qui plus est, en matière de diffamation, l’intention coupable est présumée (L. 19 juillet 1881, art. 35bis) : il appartient donc à l’auteur des propos prétendument diffamatoires d’apporter la preuve de sa « bonne foi ». Un preuve basée sur la réunion de quatre critères :
  1. sincérité
  2. poursuite d’un but légitime
  3. proportionnalité du but poursuivi et du dommage causé
  4. souci d’une certaine prudence
Donc, là encore, ces 4 critères sont-ils réunis ?

Sur les 2 premiers points, sincérité et poursuite d’un but légitime, il me semble que Youri Régnier et Julien Marie fournissent une réponse exhautisve en expliquant pourquoi ils ont décidé de ne pas se soumettre servilement à la mise en demeure d'unerencontre.com, en ne retirant pas "les différents articles dans lesquels ce site est mis en cause", et d'assumer leurs responsabilités :
Il est également vraisemblable qu’unerencontre.com soit entouré d’avocats compétents et qu’un procès nous soit préjudiciable en termes de temps et d’argent. Dans le même temps, un procès ne ferait que mettre cette affaire sur la scène publique. Mais comme nous aimons à le dire, nous avons tous nos responsabilités.

La notre, c’est d’oeuvrer pour l’honneteté, l’éthique et la transparence des sites de rencontre. Nous pensons que le concept du site de rencontre est une bonne chose en soi, puisqu’il peut constituer une réponse moderne à la solitude grandissante.

Cependant, étant donné le caractère intime et impliquant de la rencontre amoureuse, nous pensons que les sites de rencontre ont un devoir moral, une intransigeance envers eux même à renouveller chaque jour.

C’est pourquoi nous sommes scandalisés lorsque nous apprenons que tel ou tel site se livre à des pratiques non éthiques et pouvant être assimilées à de la tromperie. Nous estimons qu’il est de notre devoir de publier ces informations, aussi bien pour alerter les consommateurs de ces sites que pour inciter les acteurs du secteur à mesurer leur responsabilité.

Aussi, si nous acceptions de nous résigner à supprimer les articles suite à la demande d’unerencontre, cela reviendrait à tolérer ce genre de pratiques, et DatingWatch.org n’aurait plus de raison d’être, à part celle d’être un simple relais d’information.

C’est pourquoi, en mesurant la conséquence de nos choix, nous avons décidé de ne pas répondre favorablement à la mise demeure d’unerencontre.com et de laisser ces informations accessibles à tout un chacun.

Toutefois, par souci d’exactitude et de correction, certains articles ont été modifiés afin de nous concentrer sur les faits. Car dans cette affaire, les faits se suffisent à eux mêmes.
Donc, tout comme cette déclaration répond clairement aux points 1 et 2 (selon moi, c'est juste un avis personnel émis en conscience, qui n'a certes ni la prétention ni le souhait de se substituer à l'avis du juge !), il me semble qu'elle fournit également des indications sur le point 3, à savoir la proportionnalité du but poursuivi et du dommage causé, et que s'il y a "dommage causé", la source serait plutôt à rechercher, toujours selon moi, du côté de l'individu qui a étalé si ingénûment (encore que ses motivations profondes m'échappent) et avec force détails certains secrets "inavouables" de ses clients, qui plus est devant des caméras de télévision dont il devait bien se douter que la teneur de ses propos, tenus de façon libre et volontaire, n'aurait pas manqué d'entraîner quelques conséquences !

Car si l'on peut évidemment considérer que sur le point 4 DatingWatch aurait peut-être mieux fait de ne rien dire, on pourra également suggérer à Monsieur Guillemin que c'est surtout lui qui aurait mieux fait de se taire, ne serait-ce que par souci d’une certaine prudence !!!

Par conséquent, si la preuve des faits jugés diffamatoires est rapportée, l’auteur de la diffamation peut être relaxé en vertu du principe « d’exception de vérité », c'est vraiment tout ce que nous leur souhaitons. Car en vérité, puisqu'on en parle, et vu les faits, l'action d'unerencontre.com me semble plutôt téméraire, voire limite abusive. [Début]

5. Conclusion

Au vu de cette histoire, je me demande quels enseignements pourrait en tirer unerencontre.com. En tout cas, je partage totalement le jugement de Versac :
Il semble qu'unerencontre.com n'ait pas bien pris la chose. Plutôt que de faire amende honorable, ou de faire évoluer leurs pratiques, leur manière de gérer cette crise semble plus avoir relevé de l'invective...

Pour unerencontre.com, ça sent le roussi. On imagine qu'ils ont dépensé beaucoup d'argent en "search engine optimisation", ils risquent d'apprendre, à leurs dépens, que les clients mécontents et blogueurs peuvent aussi réagir quand on tente de s'attaquer à la liberté d'expression de la sorte.

Un excellent cas d'école de gestion de crise ratée. Je leurs prédis un petit "buzz négatif" de derrière les fagots.
Et j'ajouterais même qu'ils devraient très sérieusement considérer l'option de faire machines arrière toutes avant de franchir le point de non-retour. Car pour l'instant ce ne sont que quelques réactions indignées ici et là, mais si les choses s'enveniment et que la blogosphère s'enflamme, ça risque de leur faire drôle.

Bon, et bien si vous avez eu la patience de lire jusque là, j'espère que vous aurez compris pourquoi Adscriptor soutient DatingWatch...

Et même deux fois plutôt qu'une ! [Début]


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Lien connexe : suivez l'affaire sur Wikio...

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2 commentaires:

Joe a dit…

C'est pas une bonne stratégie de relations publiques. Ils veulent harceler des bloggers comme la Mairie de Puteaux le fait contre leur bête noire des blogs. Même si au tribunal ils avaient raison le buzz négatif que cela leur amène est un préjudice supérieur et ils se le causent eux même!

Etre éthique à l'heure des blogs est un impératif, ou au moins lorsque l'on se fait prendre il faut rattraper le coup avec une bonne stratégie de relations publiques pas avec des procès inutiles. Ils gèrent leur site de rencontre comme si internet n'existait pas.

Joe a dit…

au fait Jean Marie j'y pense maintenant mais il y a un digg like en anglais qui est consacré aux "business ethics", ce qui est "mal" est dénoncé et ce qui est "bien" y est célébré. Et chacun peut pondérer ce qui est "bien" et ce qui est "mal".

http://dotherightthing.com/