samedi 21 juin 2014

Lettre ouverte à Marcelle Padovani

[Mise à jour - Mai 2022 : huit ans ont passé, mais Padovani, imperturbable, persiste à raconter ses balivernes et signe...]

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Pour celles et ceux qui l'ignorent, Marcelle Padovani est une journaliste française qui connaît bien l'Italie, envoyée du Nouvel Obs qui s'est occupée, en son temps, de mafia. Elle a notamment eu son heure de gloire avec des interviews, dont l'une avec Leonardo Sciascia, mais surtout à la suite d'un entretien historique que Giovanni Falcone lui avait accordé, qui a donné le livre "Cose di Cosa Nostra", publié en 1991.

Et comme l'a justement observé dans une interview récente Nicola Gratteri, l'un des magistrats de pointe de la DDA déjà pressenti pour être Ministre de la Justice, apparemment elle en est restée là !

Pour autant, du fait que son livre-interview est considéré comme le testament spirituel du juge, assassiné le 23 mai de l'année suivante, cette année Marcelle Padovani a été invitée par l'ANM pour commémorer le 22e anniversaire du carnage de Capaci.


C'est donc dans la salle d'honneur de la Cour d'Appel de Palerme que Mme Padovani est intervenue devant un parterre impressionnant de personnalités, de juges, d'autorités, et tout ce que vous voulez, pour prononcer un discours que je qualifierais d'un simple euphémisme : embarrassant ! Où elle mêle évidences et inepties avec l'assurance obtuse que seuls peuvent avoir celles et ceux qui osent faire parler - ou agir, pire encore ! - les morts sans leur demander leur avis (de toutes façons, ils ne sont plus là pour confirmer ou infirmer)...

En toute subjectivité, certes, mais quand même : « Ne sous-estimez pas ma subjectivité », prend-elle soin de prévenir ... tout en évitant soigneusement de citer un seul argument de poids pour étayer ses propos, certainement bien formulés, mais surtout gratuits et basés sur du vent à l'épreuve des faits.

La question centrale de l'intervention est l'héritage de Giovanni Falcone : « Que penserait Giovanni Falcone à présent ? Personne ne peut le dire. »

Je passe directement à la partie qui m'intéresse, à savoir la conclusion du discours :
« Me voici sur le point de conclure, mais non sans affronter, même en sachant que cela ne manquera pas de faire débat, l'évolution du rôle des magistrats antimafia au cours des vingt dernières années. Hier il est vrai que Falcone était un juge réellement isolé, mais aujourd'hui, nombre de ses confrères, qui se prétendent aussi en proie à l’isolement, s'avèrent être bien plus proches de la politique et sujets aux conditionnements des médias de masse. De fait, ils s’offrent souvent à une médiatisation extrême de leurs comportements et de leurs états d’âme et, anxieux de se mettre en avant, se laissent prendre la main en contribuant à élaborer une autoreprésentation sacrificielle de leur propre rôle. Concrètement, ils sont devenus les nouveaux protagonistes de l’antimafia, tels que je me suis permis de les définir. En alimentant chez les mêmes médias auxquels ils s'offrent la tendance à broder et à supposer, voire à ourdir trames, complots et coulisses improbables qui n'ont le plus souvent que de lointains rapports avec la réalité. Un peu comme si, faute de matière première, maintenant que nous savons tout ou presque tout sur les mafias, leurs modes de recrutement, leurs « valeurs », leur organisation et leurs règles, ils ne parviennent plus à faire la une des journaux sauf à donner libre cours à leur fantaisie.
Ainsi je voudrais conclure en évoquant l'abîme qu’il y a, selon moi, entre ce genre de « protagonistes de l’antimafia » et la personne de Giovanni Falcone. Lui qui était un magistrat consciencieux et pragmatique, sans aucune idéologie, attaché à vérifier les confessions des repentis dans leurs moindres détails, qui se vantait de n'avoir jamais dû remettre en liberté quelqu’un qu’il avait arrêté, il est probable qu’aujourd'hui il serait surpris d'entendre parler de ce soi-disant « pacte » état-mafia. Mon sentiment – même si j’y mets toute ma subjectivité – est que jamais Falcone ne se serait lancé dans une enquête ni un procès de ce genre. Et, surtout, qu'il n’aurait pas considéré ce « pacte » comme un crime en soi. Il se sentirait sûrement plus proche des thèses d’un juriste tel que Giovanni Fiandaca, tant il était convaincu qu’on combat la mafia aussi en s’y infiltrant, y compris en lui cédant certaines informations pour en obtenir d’autres ou pour éviter des assassinats, comme cela est d’usage dans le monde entier lorsqu’on lutte contre la criminalité organisée. En bref, je crois qu’il aurait envisagé de poursuivre d’éventuels crimes concrets dont auraient pu se rendre coupables ceux qui sont aujourd'hui accusés d'avoir pactisé avec la mafia mais qu'il n'aurait pas qualifié ce pacte de crime en soi. Mais là encore intervient, répétons-le, toute ma subjectivité. »
 
Italien : 
(Ma vorrei avviarmi alla mia conclusione e non posso, anche se so che provocherò qualche polemica, non affrontare l’evoluzione del ruolo del magistrato antimafia da vent’anni a questa parte. Se ieri Falcone era davvero un magistrato solitario, oggi parecchi suoi colleghi, pur sostenendo di essere come lui isolati, si rivelano invece molto più vicini alla politica e condizionati dai mass media. Si sono spesso offerti, infatti, alla mediatizzazione estrema dei propri comportamenti e stati d’animo. Si sono lasciati prendere per mano dal protagonismo e spesso hanno contribuito a costruire un’autorappresentazione sacrificale del proprio ruolo. Diventando, in pratica, quelli che mi sono permessa di definire dei nuovi protagonisti dell’Antimafia. Alimentando negli stessi media cui offrono se stessi la tendenza a ricamare ed a supporre, quando non a costruire trame e complotti o retroscena che spesso non hanno che un rapporto lontano con la realtà. E' come se in mancanza di materia prima, oggi che sappiamo tutto o quasi tutto delle mafie, dei loro meccanismi di reclutamento, dei loro “valori”, della loro organizzazione e delle loro regole, loro non riuscissero a rimanere in prima pagina se non scivolando nella fantasia. 
Concluderei evocando dunque l’abisso che secondo me esiste fra i “protagonisti dell’Antimafia” di questo tipo e la persona di Giovanni Falcone. Lui che era un magistrato scrupoloso e pragmatico, assolutamente non ideologico, attaccato alla verifica di ogni dettaglio per esempio delle confidenze dei pentiti, lui che si vantava di non aver mai dovuto rimettere in libertà un suo arrestato, probabilmente si stupirebbe oggi di sentir parlare della cosiddetta “trattativa”. La mia convinzione – ma qui interviene la mia soggettività – è che Falcone non avrebbe mai avviato un’inchiesta ed un processo di questo genere. E che soprattutto non avrebbe considerato la “trattativa” come un reato in sé. Si sentirebbe dunque più vicino alle tesi di un giurista come Giovanni Fiandaca, convinto com’era che la mafia la si combatte anche infiltrandola, anche cedendogli delle informazioni per ottenerne altre o per evitare degli assassini, come si fa in tutto il mondo quando si lotta contro il crimine organizzato. Insomma credo che avrebbe pensato a perseguire gli eventuali delitti concreti dei quali potrebbero essersi macchiati coloro che sono accusati oggi di essere dei “trattativisti”, ma che non avrebbe incoronato la trattativa come delitto in sè. Ma qui, ripeto, interviene ovviamente la mia soggettività.)
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L'ensemble de cette citation me touche au plus haut point, et je vais tenter d'expliquer clairement pourquoi. Il va sans dire que la conception que j'ai de l'Italie est diamétralement opposée à celle de Mme Padovani, tout au moins de ce qui ressort des lignes qui précèdent. Mon intervention s'articulera autour des sections suivantes :
  1. Préambule terminologique
  2. Les professionnels de l'antimafia
  3. Les thèses de Giovanni Fiandaca
  4. L'autoreprésentation sacrificielle des juges
  5. Conclusion

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1. Préambule terminologique

Avant de déployer mon raisonnement, je dois préciser deux aspects terminologiques importants, concernant les termes italiens "trattativa" et "reato", et mon choix de les traduire respectivement par "pacte" et "crime".

Habituellement, dans les dictionnaires, "trattativa" se traduit par "négociations" ou "pourparlers", deux termes plutôt neutres en français, en ce sens que des négociations autant que des pourparlers peuvent déboucher sur rien ou n'importe quoi. Or le résultat de ces négociations/pourparlers entre [certains représentants de] l'état italien et la mafia a bien été la conclusion d'un "pacte" - et même plusieurs... - entre les parties prenantes.

Comme on dit parfois dans les contrats, le singulier vaut le pluriel et vice-versa : à chaque fois que j'écris "pacte" le lecteur pourra également interpréter "pactes" sans que ça ne change rien à l'affaire.

Qui plus est il ne s'agit pas d'un pacte "présumé" ("presunta trattativa") mais bien d'un fait acquis et officiellement reconnu dans plusieurs arrêts qui ont désormais l'autorité de la chose jugée :

- arrêt de la Cour d'Assises de Florence, du 6 juin 1998 :
Les témoins ont déclaré expressément que la partie mafieuse négociant le pacte était représentée par les corléonais, ou plutôt, directement par Riina. Brusca a confirmé que Riina lui avait personnellement parlé du pacte. 
[I] testi hanno espressamente dichiarato che la controparte mafiosa della trattativa erano i “corleonesi”; anzi, direttamente Riina. Brusca ha confermato che della trattativa gli parlò personalmente Riina.
- pourvoi en appel devant cette même Cour d'Assises de Florence, arrêt du 13 février 2001 :
Le pacte en cours de négociation, d'après Brusca, entraîna la suspension du programme d'attentats qui avait déjà été décidé et planifié après la réaction de l'état aux tueries Falcone & Borsellino, puisque Riina imposa de stopper toute autre action criminelle déjà prévue. 
La trattativa in corso, a sentire il Brusca, comportò la sospensione del programma stragista che era stato già deciso e programmato dopo la reazione dello Stato alle stragi Falcone e Borsellino giacché il Riina impose il fermo ad ogni azione criminale già congegnata.


- dix ans plus tard, toujours la Cour d'Assises de Florence, dans le procès Tagliavia (5 octobre 2011) :
« il est indubitable qu'il y a eu pacte, tout au moins au début, basé sur un intérêt réciproque (contrat do ut des : "je te donne, pour que tu me donnes"). L’initiative fut prise par des représentants des institutions et non pas par les mafieux ; l’objectif fixé, pour le moins initialement, consistait à trouver un terrain d'entente avec “cosa nostra” pour faire stopper la série de massacres. » 
“una trattativa indubbiamente ci fu e venne, quantomeno inizialmente, impostata su un do ut des. L’iniziativa fu assunta da rappresentanti delle istituzioni e non dagli uomini di mafia; l’obiettivo che ci si prefiggeva, quantomeno al suo avvio, era di trovare un terreno con “cosa nostra” per far cessare la sequenza delle stragi”.
Les acteurs "institutionnels" eux-mêmes en ont reconnu l'existence au cours de leurs témoignages, puisque, outre le capitaine De Donno, qui a mentionné explicitement le terme, le vice-commandant Mario Mori déclare le 27 janvier 1988 aux juges florentins :
[Vito] Ciancimino me demanda si je ne représentais que moi-même ou aussi d'autres que moi. Le fait est que je ne pouvais pas lui répondre : « Ben, Monsieur Ciancimino, repentez-vous, collaborez, et vous verrez que nous vous aiderons ». Je lui confirmais donc : « Ne vous inquiétez pas, poursuivez ». Il m'a compris et nous avons convenu de continuer nos pourparlers [...]. Le 18 octobre, quatrième rencontre. Il me dit : « C'est bon, ils acceptent de négocier » [...]. Après quoi il y eut une pause dans les négociations du pacte.  
Ciancimino mi chiedeva se io rappresentavo solo me stesso o anche altri. Certo, io non gli potevo dire: «Be’, signor Ciancimino, lei si penta, collabori che vedrà che l’aiutiamo». Gli dissi: «Lei non si preoccupi, lei vada avanti». Lui capì e restammo d’accordo che volevamo sviluppare questa trattativa [...]. Il 18 ottobre, quarto incontro. Mi disse: «Guardi, quelli accettano la tratta- tiva» [...]. Poi la trattativa ebbe un momento di ripensamento.
Par conséquent, sauf mauvaise foi et mensonge manifestes, en 2014 plus personne ne peut songer à nier que l'état a pactisé - à sa demande - avec la mafia, chose qui n'a pas été le cas tant que Massimo Ciancimino (fils de Vito) n'a décidé de parler et de raconter ce dont il avait connaissance sur ces négociations. Avant, ça se savait mais si quelqu'un en parlait ouvertement il se faisait démolir. Maintenant que c'est écrit noir sur blanc dans nombre de jugements et d'actes judiciaires, ceux qui sont fortement contraires (et contrariés par) au procès ouvert à Palerme ont changé leur fusil (lupara en sicilien) d'épaule et modifié leur angle d'attaque en prétendant que certes il y a eu pacte, mais que ce n'est pas un "reato" !

Me voici donc arrivé au deuxième point terminologique concernant la traduction de "reato" dans ce contexte, terme dont l'étymologie latine, reatus, correspond au type d'inculpation : tripartite dans le code pénal français (du moins grave au plus grave : infraction, délit, crime), bipartite dans le code pénal italien (contravvenzione, delitto), où la notion de crime (crimine) a été absorbée dans celle de délit.

Ainsi, en français, en ayant l'option "délit" ou "crime", je penche résolument pour "crime" qui est sans le moindre doute bien plus grave que "délit" : car dans mon idée de démocratie, si un état qui se veut souverain pactise avec la mafia sur le dos des citoyens (d'habitude c'est le citoyen qui peut éventuellement perpétrer un crime contre l'état, là c'est le contraire...), il commet l'un des crimes les plus odieux, comparable uniquement à la haute trahison d'un état qui pactiserait avec l'ennemi en temps de guerre tout en envoyant ses citoyens se faire massacrer sans rien leur dire. Pour leur bien : la négation même de ce que devrait être un état de droit (è infatti la negazione stessa dello Stato di diritto)...

Pour Mme Padovani en revanche, cela n'est pas même blâmable ! Donc à présent la voie royale de celles et ceux qui s'élèvent contre le procès de Palerme, où nous avons côte à côte sur le banc des mis en examen cinq représentants institutionnels de l'état italien et cinq mafieux (les positions de Calogero Mannino, de Bernardo Provenzano et d'autres seront jugées à part), c'est de proclamer à corps et à cris que le pacte état-mafia est parti d'une initiative discrétionnaire du gouvernement italien de l'époque dans l'intention louable de stopper la mafia, et qu'en vertu de la séparation des pouvoirs le pouvoir judiciaire n'a pas son mot à dire dès lors que ce type de "crime" n'est pas prévu dans le code pénal en vigueur !!!

C'est notamment l'une des thèses soutenues - entre autres - par le Giovanni Fiandaca que cite Marcelle Padovani, sur lequel s'alignerait plus volontiers - d'après elle - Giovanni Falcone s'il était encore en vie. Je vous laisse juges...

À ce propos, il y a un parallèle, évident, qui me vient à l'esprit, si l'on suit ce principe : jusqu'au 12 septembre 1982 (jour où je suis arrivé en Italie, soit dit en passant...), la mafia n'existait officiellement pas dans ce pays car nulle part le mot "mafia" n'apparaissait dans le code pénal italien ! Il aura donc fallu attendre la publication de la loi n° 646 du 13 septembre 1982, introduisant à l'article 416-bis la notion d'association mafieuse, pour que des mafieux notoires puissent être jugés pour mafia !

C'est bien ce qui se passera dix ans plus tard avec le maxiprocès de Palerme, instruit par Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, rendu définitif par la Cassation le 30 janvier 1992, et qui mettra fin à plus d'un siècle de totale impunité pour les parrains mafieux : 475 accusés de 438 crimes et délits, dont 120 assassinats, 19 perpétuités et 2665 années d'emprisonnement prononcées. C'est de là que la mafia, sûre et certaine que la condamnation aurait été cassée par Corrado Carnevale, décidera de se venger en tuant les politiques coupables de n'avoir pas respecté les accords, et les juges coupables de les avoir condamnés.

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2. Les professionnels de l'antimafia

Passons maintenant aux « nouveaux protagonistes de l’antimafia », tels que Mme Padovani s'est permis de les définir, en référence à un précédent historique qui continue de faire débat en Italie depuis plus d'un quart de siècle !

Le 10 janvier 1987 (le maxiprocès est en cours, puisque le jugement de première instance ne sera rendu que le 16 décembre de cette année-là), le plus important quotidien d'Italie, "Il Corriere della Sera", publie un long article de Leonardo Sciascia intitulé « Les professionnels de l'antimafia », dans lequel l'écrivain accuse nommément Paolo Borsellino de « faire carrière » grâce à son combat contre la mafia !

Or Sciascia est un écrivain sicilien extrêmement renommé, l'un des premiers à avoir évoqué la mafia dans ses livres, d'où le retentissement énorme de l'article ! Et même s'il n'est pas directement responsable du titre, choisi par un rédacteur du journal, c'est bien l'article intitulé tel quel que retiendra l'histoire, devenu une quasi-"marque" pour attaquer et discréditer notamment les juges qui combattent la mafia, auquel Mme Padovani fait référence aujourd'hui.

Sciascia termine ainsi son article :
Les lecteurs prendront acte qu'en Sicile, rien de tel pour faire carrière dans la magistrature que d'instruire des procès contre la mafia. 
I lettori, comunque, prendano atto che nulla vale più, in Sicilia, per far carriera nella magistratura, del prender parte a processi di stampo mafioso.
En plein maxiprocès, et venant d'une telle plume, ça fait son petit effet !

Paolo Borsellino, qui nourrissait de l'admiration pour Sciascia, sera considérablement affecté par cette histoire, et au plus fort de la polémique, il aurait confié à sa sœur, Rita :
Je ne peux pas m'en prendre à Sciascia, il est trop grand. J'ai grandi avec ses livres, il a dû être manœuvré et mal conseillé. 
Non posso prendermela con Sciascia, è troppo grande. Sono cresciuto con i suoi libri. E' stato malconsigliato e manovrato.
D'ailleurs l'année suivante, les deux hommes se rencontreront et feront la paix, comme en témoigne cette photo :


Il n'empêche que Borsellino en restera marqué à jamais, et que toute son amertume sera consignée à la postérité dans sa dernière intervention publique, un mois après l'assassinat de Falcone, sa femme et les membres de leur escorte : le 25 juin 1992, pendant un débat organisé par la revue MicroMega à la Bibliothèque Communale de Palerme, alors qu'il sait pertinemment qu'il ne lui reste plus longtemps à vivre (lui et les membres de son escorte seront assassinés moins d'un mois plus tard), il prononcera ces mots terribles en parlant de la mort de Falcone, son ami fraternel :
J'ai lu il y a quelques jours, ou entendu à la télévision - en cet instant mes souvenirs sont imprécis -, une déclaration d'Antonino Caponnetto (le responsable du pool de juges antimafia qui a instruit le maxiprocès), affirmant que Giovanni Falcone a commencé à mourir en janvier 1988, un avis que je partage. Je ne veux pas dire par là que je connais les raisons de l'acte criminel qui a eu lieu fin mai, même si j'ai quelques éléments pouvant aider à le reconstituer, éléments dont j'informerai l'autorité judiciaire, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire. Je ne veux pas dire non plus qu'il a commencé à mourir en janvier 1988 et que ce carnage de mai 1992 est l'aboutissement naturel de ce processus mortel. Pour autant, ce qu'affirme Antonino Caponnetto est vrai, car aujourd'hui nous sommes tous conscients de ce que fut la grandeur de cet homme, et en retraçant les événements de sa vie professionnelle, nous nous rendons compte que c'est bien le pays, l'état et la magistrature, l'organe qui a probablement plus de torts que tous les autres, qui ont commencé à le faire mourir le 1er janvier 1988, voire l'année d'avant, à la date que vient de rappeler Leoluca Orlando, à savoir la date de publication de l'article de Leonardo Sciascia sur "Il Corriere della Sera", dans lequel il m'accusait d'être un professionnel de l'antimafia, et dans lequel il accusait l'ami Orlando d'être un professionnel de la politique, de l'antimafia dans la politique.
Ho letto giorni fa, ho ascoltato alla televisione - in questo momento i miei ricordi non sono precisi – un’affermazione di Antonino Caponnetto secondo cui Giovanni Falcone cominciò a morire nel gennaio del 1988. Io condivido questa affermazione di Caponnetto. Con questo non intendo dire che so il perché dell'evento criminoso avvenuto a fine maggio, per quanto io possa sapere qualche elemento che possa aiutare a ricostruirlo, e come ho detto ne riferirò all'autorità giudiziaria; non voglio dire che cominciò a morire nel gennaio del 1988 e che questo, questa strage del 1992, sia il naturale epilogo di questo processo di morte. Però quello che ha detto Antonino Caponnetto è vero, perché oggi che tutti ci rendiamo conto di quale è stata la statura di quest’uomo, ripercorrendo queste vicende della sua vita professionale, ci accorgiamo come in effetti il paese, lo Stato, la magistratura che forse ha più colpe di ogni altro, cominciò proprio a farlo morire il 1° gennaio del 1988, se non forse l’anno prima, in quella data che ha or ora ricordato Leoluca Orlando: cioè quell’articolo di Leonardo Sciascia sul “Corriere della Sera” che bollava me come un professionista dell’antimafia, l’amico Orlando come professionista della politica, dell’antimafia nella politica.
Donc lorsque l'on sait que ce discours est considéré un peu comme un testament de Borsellino, on soupèse mieux ses paroles et on comprend que la pacification avec Sciascia a été une chose, mais que le poids des mots de l'article "Les professionnels de l'antimafia" lui est resté jusqu'au bout en travers de la gorge.

Tel est donc le précédent historique auquel fait référence Mme Padovani en 2014. Inutile de décrire ici le tollé qu'a suscité la position de la correspondante du Nouvel Obs chez de nombreux juges, politiques, journalistes et membres de la société civile, en osant affirmer que nombre des confrères de Falcone, « qui se prétendent aussi en proie à l’isolement, s'avèrent être bien plus proches de la politique et sujets aux conditionnements des médias de masse », qu'« ils s’offrent souvent à une médiatisation extrême de leurs comportements et de leurs états d’âme et, anxieux de se mettre en avant, se laissent prendre la main en contribuant à élaborer une autoreprésentation sacrificielle de leur propre rôle », en alimentant ainsi « chez les mêmes médias auxquels ils s'offrent la tendance à broder et à supposer, voire à ourdir trames, complots et coulisses improbables qui n'ont le plus souvent que de lointains rapports avec la réalité », parce qu'« ils ne parviennent plus à faire la une des journaux sauf à donner libre cours à leur fantaisie ».

Autant d'accusations à la limite de l'outrage gratuit qu'il conviendrait pour le moins d'étayer en les basant sur des faits, des dates, des noms, même si lecteur voit bien que les premiers visés d'entre tous s'appellent Antonio Ingroia et Nino Di Matteo, paradigmes des juges qui contribuent en médiatisant à l'extrême leurs comportements et leurs états d’âme ... à élaborer une autoreprésentation sacrificielle de leur propre rôle.

Ces nouveaux « protagonistes de l’antimafia » qu'une abîme sépare de la stature de Giovanni Falcone, magistrat consciencieux et pragmatique, sans aucune idéologie, attaché à vérifier les confessions des repentis dans leurs moindres détails, qui se vantait de n'avoir jamais dû remettre en liberté quelqu’un qu’il avait arrêté (
ce qui sous-entend naturellement que les professionnels d'aujourd'hui font exactement le contraire...), qui se sentirait probablement plus proche des thèses d’un juriste tel que Giovanni Fiandaca, tant il était convaincu qu’on combat la mafia aussi en s’y infiltrant, y compris en lui cédant certaines informations pour en obtenir d’autres ou pour éviter des assassinats, comme cela est d’usage dans le monde entier lorsqu’on lutte contre la criminalité organisée...

Ainsi, selon Mme Padovani, aujourd'hui un magistrat consciencieux et pragmatique tel que Falcone, sans aucune idéologie, se sentirait probablement plus proche des thèses d’un juriste tel que Giovanni Fiandaca ! Voyons quelles sont-elles, et si elles sont compatibles avec la rigueur morale et l'esprit de service de Giovanni Falcone...

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3. Les thèses de Giovanni Fiandaca

Comme indiqué dans mon préambule terminologique, la première thèse que soutient avec vigueur M. Fiandaca, juriste sicilien qui occupe la chaire de droit pénal de l'Université de Palerme, et coauteur avec Salvatore Lupo du livre « La mafia non ha vinto » (La mafia n'a pas gagné), éditions Laterza, c'est que la tentative du gouvernement italien de pactiser avec la mafia fut "légitime" et qu'elle ne constitue ni crime ni délit, mais juste l'expression du pouvoir discrétionnaire de l'état...

Une thèse qui fait florès, maintenant que le pacte est solidement établi aux yeux de tous, pourquoi s'en étonner ? Et que de membres de l'intelligentsia qui reprennent tout ça en chœur avec une belle unanimité, de Pino Arlacchi a Giuliano Ferrara (qui publie sur son journal un encart de 6 pages reprenant les arguments de Fiandaca sous le titre "Il processo sulla trattativa è una boiata pazzesca", du genre "Le procès sur le pacte état-mafia est une idiotie sans nom") ou Emanuele Macaluso, en passant par Marcelle Padovani et Eugenio Scalfari, fondateur de Repubblica :
Il y a pacte et pacte, il ne faut pas confondre. Lorsqu'une guerre est en cours, des négociations entre les parties sont pratiquement inévitables si l'on veut limiter les dommages. On négocie pour enterrer les morts [les parents des victimes des attentats mafieux apprécieront...], pour soigner les blessés [idem], pour échanger les otages. Il en fut souvent ainsi durant les années de plomb. Le parti de la fermeté d'un côté, qui ne voulait pas négocier avec les Brigades rouges, et celui des négociations de l'autre. (...) Mais quel est donc le crime que l'on recherche, quelle est la vérité que l'on veut connaître ? Ça doit en être une autre, pas celle-ci. Il doit s'agir – comme le laissent entendre certaines déclarations extraites de l’une des innombrables interviews d'Antonio Ingroia – d'un pacte négocié à un moment où la mafia était en fin de course, et où pour la maintenir en vie il a fallu invoquer l’aide de l'état. Certes, si cela était prouvé, ce serait bel et bien un crime, un crime énorme. Mais est-ce de cela qu'il s'agit ? Et quand est-ce que la mafia fut en fin de course et contrainte d'invoquer le soutien de l'état ? En 1992-1993 ? Lorsque les corléonais gagnèrent la guerre sur le clan Badalamenti ? Il ne semble pas qu'à cette époque la mafia était en fin de course, au contraire. 
Ci sarebbe anche da distinguere tra trattativa e trattativa. Quando è in corso una guerra la trattativa tra le parti è pressoché inevitabile per limitare i danni. Si tratta per seppellire i morti, per curare i feriti, per scambiare ostaggi. Avvenne così molte volte ai tempi degli anni di piombo. Il partito della fermezza che non voleva trattare con le Br, e quello della trattativa. (...) Qual è dunque il reato che si cerca, la verità che si vuole conoscere? Deve essere un’altra e non questa. Deve essere – come alcune frasi d’una delle innumerevoli interviste di Ingroia fa pensare – una trattativa svoltasi in una fase in cui la mafia era ridotta al lumicino e per tenerla in vita si invocava l’aiuto dello Stato. Questo sì, se fosse provato, sarebbe un crimine. Un crimine di enormi proporzioni. È di questo che si tratta? E quand’è che la mafia sarebbe stata ridotta al lumicino e costretta ad invocare il sostegno dello Stato? Nel ’92-’93? Quando i Corleonesi presero il sopravvento sul clan di Badalamenti? Non sembra che in quegli anni fossero ridotti al lumicino, anzi. 
En bref, le pacte état-mafia a bien eu lieu, mais à des fins positives (“a fin di bene”), justifié par un état de nécessité (“stato di necessità”), de plus il est juridiquement légitime (“giuridicamente legittima”), donc il n'y a là rien de scandaleux, ni de pénalement répréhensible (“penalmente non censurabile”) :
cela fait partie des attributions politiques discrétionnaires du gouvernement d'évaluer les pour et les contre, de mettre sur la balance avantages et inconvénients liés au choix d'accorder d'éventuelles ‘concessions’ au contre-pouvoir mafieux pour faire cesser en échange les agressions mortelles. 
rientra nella discrezionalità politica del governo valutare i pro e i contro, in termini di bilanciamento costi-benefici, della scelta di fare eventuali ‘concessioni’ ai contropoteri criminali in cambio della cessazione delle aggressioni mortali.
On croit rêver... Et Falcone serait censé s'aligner sur de telles positions ? Bah !

Mais Fiandaca va plus loin, en contestant la qualification juridique du procès (code pénal italien, articles 338 : Violence ou menace à un corps politique, administratif ou judiciaire - “Violenza o minaccia ad un corpo politico, amministrativo o giudiziario” - et 110 : Peine encourue par ceux qui concourent à commettre le crime - “Pena per coloro che concorrono nel reato” -), en argumentant que le gouvernement n'est pas un “corps politique” mais un “organe constitutionnel”, et qu'en tant que tel les dispositions applicables seraient celles de l'article 289 (Attentat contre les organes constitutionnels et contre les assemblées régionales - “Attentato contro organi costituzionali e contro le assemblee regionali” -), etc. etc.

De la doctrine donc, encore et toujours, sur un plateau de la balance, et sur l'autre 16 morts plus une quarantaine de blessés provoqués par 9 attentats à la bombe (dont deux manqués) durant la saison 1992-1993...

Par conséquent inutile de résumer ici les quelque 12 000 mots de la “lectio magistralis” tenue le 18 avril 2013 par le Prof. Fiandaca à la Faculté de Jurisprudence de l’Université de Naples, intitulée « Le pacte état-mafia entre processus politique et procès pénal » (La trattativa Stato-mafia tra processo politico e processo penale), ça ne ferait guère avancer le schmilblick !

Contentons-nous de préciser que ce même Prof. Fiandaca conteste également (et il n'est pas le seul) le crime de "concours externe à l'association mafieuse" pour lequel Marcello Dell'Utri (à l'origine du parti politique de Berlusconi) est actuellement en prison, et puisqu'on parle de Dell'Utri et de l'antimafia, voici une anecdote savoureuse qui en dit long sur la mobilisation convaincue de l'état italien : Dell'Utri vient tout juste d'être extradé du Liban où il avait tenté de se réfugier, et les policiers de la DIA de Palerme qui ont été le prélever à son arrivée à l'aéroport de Rome ont dû avancer l'argent du vol aller-retour Rome-Palerme et de leur séjour à Rome, tout simplement parce que l'antimafia manque de fonds...

Ça c'est passé cette semaine, donc le constat de la situation est plutôt clair !

Mais Fiandaca va encore et toujours plus loin, en allant jusqu'à justifier certaines attaques de Berlusconi à la magistrature, tel que relaté par l'agence de presse Adnkronos :
« Il est faux d'affirmer qu'on ne peut pas critiquer les jugements ou discuter des procès en cours, c'est une grosse bêtise induite par certains phénomènes pervers : d'un côté par la nécessité de combattre Berlusconi depuis vingt ans d'attaques contre la magistrature. Des attaques souvent injustifiées, parfois justifiées. » 
“Non è vero che le sentenze non si discutono o che i processi in corso non si discutono, è una grande sciocchezza indotta da alcuni fenomeni perversi: da un lato dall’esigenza di contrastare Berlusconi per vent’anni, quando rivolgeva i suoi attacchi alla magistratura. Attacchi spesso ingiustificati e qualche volta giustificati”
Ce dont Berlusconi ne se prive pas puisque hier encore, cité comme témoin dans le procès Lavitola, il attaquait directement les juges du Tribunal :
« La magistrature est sans contrôle, incontrôlable, irresponsable et jouit d'une immunité totale. » 
“La magistratura è incontrollata, incontrollabile, irresponsabile e ha l’immunità piena”. 
Venant de lui, ça ne manque pas de sel. D'ailleurs, il risque gros pour son goût de la provocation, nous verrons dans les jours qui viennent si cette nouvelle attaque aura des suites...

Pour autant voici une transition toute trouvée pour arriver au dernier point de mon argumentaire.

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4. L'autoreprésentation sacrificielle des juges

Selon Marcelle Padovani, certains juges, négativement connotés comme "nouveaux protagonistes de l'antimafia", ont la manie de vouloir occuper le devant de la scène plutôt que de se retrancher derrière un silence qui serait politiquement correct. OK.

Mais ce que sous-entend cette thèse (ou, pour mieux dire, ce théorème...), c'est que de nombreux juges (de Falcone à Borsellino, n'oublions pas, jusqu'à Di Pietro, Clementina Forleo, De Magistris, les juges de Salerne, Anna Maria Fiorillo, Antonio Esposito, Antonio Ingroia, Nino Di Matteo, etc.), qui subissent depuis vingt ans les attaques extrêmement violentes et concentriques de Berlusconi et de tout le système de pouvoir en place - droite, gauche et centre confondus, presse, télévision, une bonne tranche de l'opinion publique manipulée à souhait, actions disciplinaires du CSM à sens unique, et last but not least, la Présidence de la République italienne -, devraient se laisser discréditer et anéantir en se taisant !

Et que dès qu'ils tentent de prendre la parole simplement pour faire valoir leurs droits et faire entendre leur voix dans ce gigantesque jeu de massacre, alors les voilà immédiatement accusés d'être « bien plus proches de la politique et sujets aux conditionnements des médias de masse », de s'offrir « souvent à une médiatisation extrême de leurs comportements et de leurs états d’âme et, anxieux de se mettre en avant, se [laisser] prendre la main en contribuant à élaborer une autoreprésentation sacrificielle de leur propre rôle », d'alimenter « chez les mêmes médias auxquels ils s'offrent la tendance à broder et à supposer, voire à ourdir trames, complots et coulisses improbables qui n'ont le plus souvent que de lointains rapports avec la réalité », dès lors qu'« ils ne parviennent plus à faire la une des journaux sauf à donner libre cours à leur fantaisie »...

En outre, citer acritiquement Falcone comme contre-exemple de cette "autoreprésentation sacrificielle" sur l'autel de l'ostentation, c'est aller vite en besogne et, surtout, oublier que Falcone et Borsellino eux-mêmes se sont élevés à maintes reprises pour « faire valoir leurs droits et faire entendre leur voix » !

Dans un document de Giovanni Falcone que je suis le seul à relayer en mode texte sur le Web mondial (!), intitulé « Rôle de la magistrature dans la lutte contre la mafia » (Ruolo della magistratura nella lotta alla mafia), discours tenu à Catane le 12 mai 1990, Giovanni Falcone dit ceci :
Malheureusement, il y a déjà longtemps que nous assistons presque sans nous en rendre compte à une dispersion progressive de la culture de la juridiction et à l'érosion permanente des valeurs d’indépendance et d'autonomie de la Magistrature, comme conséquence d'une série de réactions en chaîne qui, en partant d'une certaine intolérance envers le magistère pénal et d'une forte tentation des partis politiques d'occuper aussi la sphère réservée du pouvoir judiciaire, risquent de saper le fondement constitutionnel de la séparation des pouvoirs et de vider la juridiction de son contenu. 
Da tempo, purtroppo, assistiamo quasi senza accorgercene alla progressiva dispersione della cultura della giurisdizione ed alla continua erosione dei valori dell’indipendenza ed autonomia della Magistratura; e ciò in conseguenza di una serie di reazioni a catena che, partendo da una certa insofferenza per il magistero penale e dalla forte tentazione dei partiti di occupare anche l’area riservata al potere giudiziario, rischia di scardinare l’assetto costituzionale della divisione dei poteri e di svuotare di contenuto la giurisdizione.
Or c'est bien ce à quoi nous assistons depuis 20 ans : un assaut permanent du berlusconisme et de la soi-disant "gauche" à l'état de droit qui vise systématiquement et assidûment à miner la législation antimafia, à favoriser la corruption et l'impunité des gros délinquants de tous poils (seuls les petits surpeuplent les prisons), et les attaques répétées de Berlusconi et des autres intervenants (voir plus haut) sont une brique importante de cette entreprise raisonnée de démolition :

- ces accusations [contre moi] nous conduiront dans la rue pour manifester contre l'activité d'une partie de la magistrature qui utilise la justice pour combattre et éliminer les adversaires politiques qu'on ne réussit pas à éliminer par le système démocratique des élections. (...) Il est évident que notre opposition est forte contre une partie de la magistrature qui se comporte ainsi. J'ai déjà dit que ce type de comportement est une pathologie de notre système, un cancer de notre démocratie... ;
- la magistrature ruine notre système ;
- les juges sont fous, et même doublement fous : pour faire ce travail, il faut être mentalement perturbé, avoir des troubles psychiques ;
- les juges sont anthropologiquement différents du reste de l'humanité, ils devraient régulièrement être soumis à des tests pour en certifier la santé mentale ;
- mon père m'a enseigné que si tu veux faire du mal à ton prochain, tu deviens soit délinquant, soit dentiste, soit magistrat du Parquet ;
- Berlusconi à Obama : en Italie nous avons pratiquement une dictature des juges gauchistes...

Et ainsi de suite ! Je pourrais vous trouver des centaines de citations berlusconiennes toutes plus pourries les unes que les autres sur les juges... Du reste, je serais curieux de savoir, parmi celles qui précèdent, s'il y en a une ou plusieurs que M. Fiandaca justifierait, et pourquoi ?!

Mais terminons sur Falcone en réponse à Berlusconi, citations extraites du discours mentionné plus haut :
Pour autant, de tels comportements culturels répréhensibles ne sont certainement pas une bonne raison pour tenter, en profitant de la méfiance croissante des citoyens vis-à-vis de la justice, de poursuivre un projet de discrédit de la magistrature et d'affaiblissement progressif des garanties légales qu'offre globalement le système, garanties qui sont dictées non pas par l'intérêt de la corporation des juges mais au bénéfice de l'ensemble de la collectivité. (...) Ce mécanisme d'attaques et de soupçons vient se greffer aussi et surtout à l'encontre des juges antimafia. (...) De nombreuses autres critiques frappent les magistrats qui s'occupent d'enquêtes sur la mafia. Il suffit de rappeler ici les généralités désinvoltes sur les fautes prétendues dans la manière de traiter les "repentis", ou encore celles sur les soi-disant professionnels de l’antimafia, celles sur la création des maxiprocès, ... 
Tuttavia, tali censurabili atteggiamenti culturali non rappresentano di certo una buona ragione per tentare, profittando della crescente sfiducia del cittadini nei riguardi della Giustizia, per portare avanti un progetto di delegittimazione della magistratura e di progressivo affievolimento delle garanzie di legalità complessive del sistema, dettate non certamente a beneficio della corporazione dei giudici ma nell’interesse di tutta la collettività. (...) Il meccanismo di attacchi e di sospetti si è innescato anche e soprattutto nei confronti del c.d. giudici antimafia. (...) Tante altre critiche sono piovute addosso ai magistrati che si occupavano di inchieste di mafia. Basterebbe ricordare le disinvolte generalizzazioni su pretese scorrettezze nella gestione del c.d. "pentiti"; quelle sui c.d. professionisti dell’antimafia; quelle sulle creazioni dei maxi-processi...
L'avis de Falcone est donc très clair aussi sur les "professionnels de l'antimafia", qu'il qualifie de "généralités désinvoltes". Très intéressante également sa position sur la "non-terzietà" des juges, un concept que je laisse aux spécialistes de la question mais digne d'être approfondi...

J'invite donc Marcelle Padovani à lire l'intégralité de ce texte qu'elle ignore peut-être, et à l'aune de ces nouveaux éléments, j'imagine, soit à reconsidérer sa position (auquel cas elle devrait tenter de donner à ses propos le même écho qu'a eu son intervention initiale), soit à étayer ses arguments autrement qu'avec des affirmations gratuites ; mais dans un cas comme dans l'autre, à prendre en compte mes critiques et daigner y répondre.

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5. Conclusion

Lorsqu'en 1987 Sciascia a publié son brûlot, très apprécié de Salvatore Riina, nombreuses ont été les voix qui se sont élevées contre telle "généralisation désinvolte" (désinvolte : qui fait montre d'une liberté un peu insolente, d'une légèreté excessive. Le Robert). Mais il y en a une en particulier que je souhaite mentionner ici, à l'époque correspondante en Italie du Nouvel Obs, une certaine Marcelle Padovani, qui accuse Sciascia sur son journal :
de ressasser des « polémiques misérables » contre l'antimafia en vertu de son « incoercible exhibitionnisme » !
Donc, sauf cas d'homonymie extraordinaire, il serait intéressant de savoir ce que la Marcelle Padovani qui critiquait ainsi Sciascia et ses "professionnels de l'antimafia" en 1987, penserait de la Marcelle Padovani et de ses "nouveaux protagonistes de l'antimafia" version 2014...

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