mercredi 9 juillet 2008

Les marques et les nouvelles extensions

Les marques et les nouvelles extensions

Sous-titre : dès 2009, chaque marque aura-t-elle intérêt à prendre sa propre extension en .MARQUE ?

Je vous rassure tout de suite, personne n'en sait rien, pas plus l'ICANN que moi. L'ICANN l'espère, et moi je m'interroge, car le flou qui s'annonce n'est pas une bonne raison pour tenter d'éviter l'analyse... ;-)

Ceci dit, la situation n'est pas simple !

* * *


Le 26 juin dernier, l'ICANN a annoncé deux changements majeurs pour les extensions génériques de premier niveau (gTLD) :
  1. it is possible to implement many new names to the Internet ... as well as generic strings like .brandname...
  2. the expanding system is also being planned to support extensions in the languages of the world.
Dans l'absolu, il sera donc possible de créer un dot.anything, dans le respect des recommandations de l'ICANN, même si cela restera vraisemblablement réservé aux organisations plutôt qu'aux particuliers, sauf à ceux qui auront suffisamment d'argent à mettre dans l'aventure, vu les nombreuses contraintes, notamment opérationnelles, juridiques et financières.

Il est d'ailleurs probable que cette possibilité ouvrira un nouveau marché pour quelques-uns des registres actuels, qui pourront ainsi louer leurs services et leur savoir-faire afin que les candidats aux nouvelles extensions puissent se faire aider dans le montage du dossier de préparation, voire en externaliser la gestion une fois l'extension autorisée.

Si les délais prévus par l'ICANN sont respectés, cela voudrait dire que les premières candidatures pourront être soumises dès la moitié du second trimestre 2009, après une campagne massive de communication de l'ICANN pour vanter les mérites des nouvelles extensions, dès le début de l'année prochaine.



Toutefois, il y a dans les deux points signalés en début de billet deux aspects différents :
  1. les extensions en caractères romains (37 en tout, les 26 lettres de notre alphabet, le trait d'union et les chiffres de 0 à 9),
  2. les extensions en IDN (noms de domaine multilingues).
Ainsi que le soulignait Caroline Perriard de chez Nestlé Suisse SA, lors de l'atelier New gTLDs - Shaping the Future of the Internet? qui s'est tenu à Paris le 23 juin dernier dans le cadre de la réunion de l'ICANN :
En fait, si nous pouvons choisir la partie de l'URL avant le point, et la partie après le point, nous aurons deux choix à faire. (If you have to choose the first part before the dot and then the second part, you have two choices to make)
Ce qui n'est pas tout à fait vrai, car dans son cas elle n'a pas deux options, mais quatre possibles :

1) non-IDN.non-IDN

2) IDN.non-IDN

3) non-IDN.IDN

4) IDN.IDN

Puisque Nestlé pourra désormais se décliner en .NESTLE ou .NESTLÉ !

Au-delà de telle ou telle marque, cela veut donc dire que des extensions pourront être créées dans toutes les langues, avec des centaines de milliers de caractères. Pour autant, est-ce souhaitable ?

* * *


Pour garder notre exemple, quel intérêt aurait Nestlé à passer du .COM (et/ou de toutes les autres extensions que vous voulez) au .NESTLE (ou .NESTLÉ) ?

En fait, dans l'état actuel des connaissances en la matière, un intérêt plutôt limité ! Puisque la nouvelle extension n'a pas vocation (pour l'instant...) à remplacer toutes les autres, mais seulement à s'ajouter à toutes les autres.

D'où d'énormes coûts supplémentaires en vue, cela va de soi. Or on a beau dire que les grand groupes mondiaux sont riches, ils ont déjà fort à faire pour protéger leurs marques (car la plupart du temps ils n'en ont pas qu'une mais toute une ribambelle) avec les quelque 264 extensions existantes (21 gTLD + 243 ccTLD), qui pourtant sont toutes peu ou prou disponibles à des prix accessibles.

Et en fait je partage l'avis de J. Scott Evans qui trouve extrêmement basses les estimations selon lesquelles les sociétés du club Fortune 500 dépensent un demi-million $ par an pour la protection de leur domaine.

D'autant plus qu'une étude sur la localisation en français de 18 d'entre elles (4,56 Mo) m'a montré qu'elles étaient loin de toujours être cohérentes dans leur charte de nommage et leur politique mondiales de visibilité sur Internet.

Donc tout cela ne fera qu'ajouter à la confusion et rebutera les sociétés d'investir des chiffres énormes (je pense qu'on peut avancer sans grande crainte de se tromper une fourchette entre 100 000 et 500 000 $ par extension personnalisée, sans compter ensuite les coûts annualisés de leur exploitation). Ce qui va vite devenir rédhibitoire, même pour des multinationales qui en fait n'en auront pas besoin, pour plusieurs raisons dépassant le seul aspect financier :
  1. tous les grands groupes ont aujourd'hui une présence Internet consolidée ;
  2. une nouvelle extension .MARQUE les obligera à communiquer massivement vers les internautes avant que la "commutation" ne se mette en place naturellement ;
  3. cela risque de générer une bonne dose de confusion chez les utilisateurs/consommateurs qui perdront leurs marques (c'est le cas de dire ;-) et ne sauront plus où aller, sauf à rendre visite à la concurrence ;
  4. il n'est pas du tout certain que les multinationales souhaitent regrouper des portefeuilles de marques parfois énormes sous un seul domaine (par exemple, Montblanc.NESTLE, et ainsi de suite) ;
  5. le choix d'une extension IDN (.NESTLÉ) coupe automatiquement des centaines de millions d'internautes qui n'ont pas de é (e accent aigu) sur leur clavier, ce qui serait très mauvais pour le commerce, etc.
Ce qui, au final, ferait quand même cher pour pas grand chose. Mais bon, je ne suis sûrement pas dans la tête de leurs dirigeants...

Par contre, il y a selon moi une mesure à laquelle l'ICANN n'a pas pensé (ils n'avaient qu'à me le demander ;-), ce serait d'offrir aux marques une nouvelle extension qui ne s'ajoute pas à toutes les autres, mais qui les remplace !

Après tout, puisque c'est l'ICANN qui signe les accords avec tous les registres, il suffirait de prendre des accords collectifs pour que le .MARQUE soit packagé avec les 264 extensions existantes, et le tour est joué.

Utopique ? Vous croyez ? Ah bon, peut-être !

* * *


Il n'empêche que ce serait LA solution pour les marques, mondiales, évidemment. Pour les autres, ce serait plus compliqué. Sans compter les innombrables cas de litiges possibles, à commencer par le fameux principe de spécialité des marques.

Rassurez-vous, j'ignorais tout de cela il y a quelques mois encore, mais c'est en collaborant avec Quensis, société spécialisée dans la création de marques juridiquement disponibles, que petit à petit je vais devenir incollable. Consultez leur brochure ou leur blog, vous verrez que c'est génial. Petit clin d'œil au passage à Delphine et Jean-Philippe ;-)

En clair, si deux marques ne sont pas déposées dans les mêmes classes (il y en a 45), elles peuvent cohabiter : Hermès / éditions Hermès, Montblanc / crème Montblanc / Mont Blanc, Apple / Apple et producteurs de pommes, etc.

Donc déjà que la jurisprudence est loin d'être constante dans l'application du principe de spécialité aux noms de domaine (c'est moi qui souligne) :
Lorsque le contentieux des noms de domaine est apparu, on a pu constater de nombreuses divergences, tant doctrinales que jurisprudentielles, sur le point de savoir si ces nouveaux signes distinctifs étaient soumis au principe de spécialité.
et cela sur UN seul pays, alors imaginez la cacophonie mondiale, dans toutes les classes et toutes les langues, ce sera à proprement parler ingérable.

De plus par l'ICANN, qui, jusqu'à présent, nous a souvent donné des preuves manifestes de son incohérence, voire de son inconséquence, notamment dans des dossiers comme le domain tasting ou dans l'affaire du .XXX, ce qui présage bien d'une gestion saine des nouvelles extensions, convenons-en...

D'où une myriade de litiges en perspective, et des coûts démultipliés pour les entreprises.

Autre exemple bref : imaginez le déposant de .GAMING, comment seront gérées les marques à gauche du point (XBOX, SONY, NINTENDO, etc.) ?

Voilà. Il y a d'autres aspects à aborder, mais ce sera pour une autre fois. Donc pour répondre à ma question : « dès 2009, chaque marque aura-t-elle intérêt à prendre sa propre extension en .MARQUE ? », disons que pour l'instant le plateau de la balance penche largement en faveur du NON plutôt que du OUI.

J'emprunterai ma conclusion à Cédric Manara :
Plus il y a d’extensions, plus cela fortifie la valeur des .COM.

Plus on habite le centre-ville, plus on est heureux d’y être quand la banlieue s’étend.
Dans cette affaire, je crois surtout que l'ICANN a confondu vitesse et précipitation, tout accaparée par sa quête forcenée de générer des recettes supplémentaires. Nous verrons.



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